Une accélération du vieillissement se fait sentir au niveau planétaire. Selon les données de l’Organisation mondiale de la santé (2019), en 2030, le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans augmentera de 56 %. Le Québec connaît un vieillissement rapide de sa population comparativement à d’autres pays. Pour la province, Aubé et Souffrez (2016) indique qu’en 2031, une personne sur quatre sera âgée de 65 ans et plus.
Globalement, les aînés se considèrent en bonne santé et satisfaits de leur vie sociale. Ils ont d’ailleurs un niveau de détresse psychologique plus bas que d’autres tranches d’âges (Institut de la statistique du Québec, 2016). Cependant, ce portrait enthousiasmant ne représente pas la réalité de tous.
Le Québec présente des taux de suicides stables depuis une dizaine d’années pour les personnes âgées de 65 ans et plus. En 2021, la province fait état de 1 008 suicides. De ce nombre, 224 aînés ont mis fin à leur vie, soit 178 hommes et 46 femmes (Levesque, et Perron, 2023).
Le suicide et le vieillissement restent des sujets tabous dans plusieurs sociétés. Dans une étude portant sur 1 501 participants, menée par Revera (2012), un Canadien sur cinq trouve que les aînés représentent un fardeau pour la société et 89 % décrivent négativement le fait de vieillir. Pourtant, vieillir comporte une multitude d’expériences. Les perceptions négatives du vieillissement se nomment de l’âgisme. Ainsi, croire que les personnes âgées n’ont plus de qualité de vie, sont toutes malades, ne devraient plus conduire, ou encore, qu’il est normal d’être triste à cet âge, sont toutes des représentations d’une forme de discrimination en lien avec l’âge. L’âgisme se traduit par des « […] attitudes hostiles ou négatives, des gestes préjudiciables et de l’exclusion sociale. » (Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées et al., 2016).
La vision qui est entretenue dans la société envers les aînés influence directement les actions qui sont prises au niveau de leur détresse psychologique. Il est alors important de reconnaître les distinctions entre un vieillissement normal et pathologique. Ainsi, il est normal pour une personne âgée d’avoir certains oublis bénins (emplacement d’objet, prénoms, etc.), une perte de force, un sommeil plus léger. Cependant, il n’est pas de l’ordre de la normalité d’être atteint de démence, de surdité, d’être triste, de se sentir inutile ou de vouloir aller rejoindre son conjoint décédé.
Ainsi, l’âgisme peut affecter la détection de troubles mentaux chez les personnes âgées en maintenant certaines fausses croyances à leur égard. Ainsi, la dépression semble moins bien diagnostiquée et moins bien traitée chez les aînés. Au Québec, les autopsies psychologiques réalisées auprès de personnes âgées et décédées par suicide révèlent que 53,5 % avaient rencontré un médecin deux semaines avant leur décès, sans que les symptômes dépressifs ne soient relevés (AQPS, 2014). Le désintérêt pour la vie, un laisser-aller (alimentaire, de l’apparence physique, de l’hygiène, etc.), un sentiment de tristesse persistant et de dévalorisation, une perte de poids et de l’insomnie sont quelques signes, n’ont pas d’un vieillissement normal, mais bien de symptômes dépressifs chez les aînés.
La dépression chez les aînés ainsi que la présence d’autres troubles de santé mentale, qui affectent une personne âgée sur cinq, sont des facteurs qui augmentent significativement le risque suicidaire (Nour et al. 2013). De plus, de nombreuses études montrent que les personnes âgées font moins de tentatives de suicide comparativement à la population générale et utilisent davantage des moyens létaux pour s’enlever la vie. Ainsi, environ 75 % des aînés décédés par suicide n’avaient jamais fait de tentative de suicide auparavant (Richard-Devantoy et Jollant, 2012). De plus, le processus suicidaire semble moins impulsif et plus soigneusement planifié.
Voici quelques facteurs de risque au niveau suicidaire spécifiques à cette tranche d’âge :
Facteurs prédisposants (Vulnérabilité liée à l’histoire de vie)
- Trouble de santé mentale, particulièrement la dépression;
- Tentative de suicide antérieure;
- Abus de substances (alcool ou médicaments);
- Suicide d’un proche;
- Traits de personnalité inflexibles ou mécanismes d’adaptation limités (surtout chez les hommes);
- Deuil prolongé ou non résolu;
- Victime de violence, d’abus ou de maltraitance;
- Isolement social et absence de liens significatifs;
- Maladie physique, douleur, limitations fonctionnelles et perte d’autonomie;
- Âgisme (affecte l’image et l’estime de soi par les perceptions négatives des autres qui viennent à être intériorisées et assimilées);
- Certaine acceptabilité du suicide des aînés dans la population générale.
Facteurs contribuants (Exacerbent le risque suicidaire à un moment précis)
- Deuils et pertes successives (permis de conduire surtout chez les hommes, diminution des capacités physiques, etc.);
- Annonce d’un diagnostic et apparition des premiers symptômes liés à la maladie;
- Effets secondaires d’une médication;
- Accessibilité du moyen pour s’enlever la vie (cinq fois plus de risques pour ceux possédant une arme à feu (Roy, 2016));
- Conflits persistants et relations instables;
- Dépendance envers les autres pour le fonctionnement quotidien;
- Faible demande d’aide et accessibilité restreinte à des ressources;
- Abus de substances (alcool ou médicaments);
- Diffusion médiatique de gestes suicidaires d’aînés;
- Pauvreté et difficultés financières.
Facteurs précipitants (Circonstances qui précèdent un geste suicidaire)
- Conflit interpersonnel ou familial;
- Séparation, divorce ou veuvage (surtout chez les hommes, au courant de la première année suivant le décès de la conjointe, 2,5 % des veufs feraient une tentative de suicide (AQPS, 2014));
- Perte d’un statut social;
- Un échec, une humiliation ou un traumatisme;
- Deuil ou une perte récente;
- Entrée en institution;
- Décès par suicide d’une personnalité publique âgée.
Association québécoise de prévention du suicide (AQPS). (2014). La prévention du suicide des aînés au Québec : comprendre, s’inspirer et agir.
Différents facteurs de protection peuvent aussi contribuer à réduire le risque suicidaire de la personne âgée. Ainsi, au niveau personnel se retrouvent les habiletés de résolution de problèmes, la capacité d’adaptation, la spiritualité, les pratiques religieuses, l’expression de son vécu et de ses émotions, une vision favorable de la retraite et du vieillissement en général, etc. Au niveau social, un climat de vie chaleureux, du soutien familial et social, un rôle actif dans sa communauté et un accès à des ressources semblent aussi favoriser la diminution du risque suicidaire (AQPS, 2014).
Il est important de considérer les aînés comme des personnes à part entière et faisant partie intégrante de la société. Il est aussi essentiel de veiller à leur bien-être physique et mental. Ainsi, prendre conscience de vos propres perceptions face au vieillissement permettra de mieux repérer les aînés vivant de la détresse psychologique. Cet intérêt de votre part favorisera l’expression du vécu de l’aîné et l’identification de différentes ressources à utiliser pour l’aider. Faire preuve de vigilance envers nos aînés est l’affaire de tous et chacun pour prévenir le suicide.
Références
Association québécoise de prévention du suicide (AQPS). (2014). La prévention du suicide des aînés au Québec : comprendre, s’inspirer et agir.
Aubé, D. et Souffez, K. (2016). Le vieillissement au Québec. Institut national de santé publique du Québec.
Aubin, G., Beausoleil, J., Brotman, S., Couture, M., Gilbert, N., Marier, P., Negron-Poblette, P., Orzeck, P., Séguin, A-M., Van Pevenage, I. et Wallache, I. (2017). Vieillir et vivre ensemble. Mémoire dans le cadre de la consultation sur les travaux d’élaboration du Plan d’action Vieillir et Vivre Ensemble 2018-2023. Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale (CREGÉS); Équipe VIES.
Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées, Centre affilié universitaire en gérontologie sociale du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, Ligne Aide Abus Aînés et coordonnateurs régionaux responsables (2016). Guide de référence pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées. 2e édition.
Institut de la statistique du Québec. (2016, octobre). L’Enquête québécoise sur la santé de la population, 2014-2015: pour en savoir plus sur la santé des Québécois. Résultats de la deuxième édition.
Lapierre, V. (2007, juin). Suicide, rupture, lien. Gérontologie et Sociétés, 30(121), 265-278.
Létourneau, G. (2017). L’anxiété chez les personnes âgées. Familles et santé mentale, (43), 11-12.
Levesque, P. & Perron, P. A. (2023). Les comportements suicidaires : portrait 2023. Québec, Bureau d’information et d’études en santé des populations, Institut national de santé publique du Québec. 57 pages, Les comportements suicidaires au Québec : portrait 2023 (inspq.qc.ca)
Nour, K., Hébert, M., Lavoie, J-P., Dallaire, B., Wallach, I., Moscovizt, N., Regenstreif, A. et Billette, V. (2013). Services spécialisés en santé mentale pour les personnes de 60 ans et plus. Étude pilote de l’évaluation du processus. Santé mentale au Québec, 38(1), 81-102.
Organisation mondiale de la santé (OMS). (2019, juin). Décennie du vieillissement en bonne santé, 2020-2030.
Revera. (2012). Rapport de Revera sur l’âgisme.
Richard-Devantoy, R. et Jollant, F. (2012). Le suicide de la personne âgée : existe-t-il des spécificités liées à l’âge? Santé mentale au Québec, 37(2), 151-173.
Roy, F. (2016, janvier). Prévenir le suicide chez les aînés : repérer, protéger et redonner espoir (Guide pour les agents de la formation). AQPS. 119p.