À l’échelle mondiale, le suicide est la quatrième cause de décès chez les jeunes âgés de 15 à 29 ans (OMS, 2021). Au Canada, il est la deuxième cause de décès chez les 10 à 24 ans. Le Canada se positionne dans le top cinq des pays ayant le plus haut taux de suicides chez les jeunes dans le monde. Ces taux sont quatre à cinq fois plus élevés encore chez les jeunes métis, inuits et des Premières nations (CCDEJ, 2019; Charach et Andrews, 2019).
Au Québec, les taux de suicides chez les adolescents sont stables depuis quelques années. Cependant, les données révèlent une hausse d’hospitalisations pour tentative de suicide chez les adolescents de 15 à 19 ans. Chez les filles de 10 à 14 ans, ces taux ont plus que doublé (Levesque et Perron, 2023).
En 2019, l’Abitibi-Témiscamingue comptait près de 11 000 jeunes âgés entre 11 et 17 ans. Les adolescents témiscabitibiens se disent, à 51,6 %, très satisfaits de leur vie en général. Pourtant, l’Abitibi-Témiscamingue arrive au 14e rang parmi 15 régions du Québec pour cet indicateur. Donc, il semblerait que les jeunes sont en moins grande proportion satisfaits de leur vie comparativement à d’autres endroits au Québec. De plus, 40,3 % des adolescents témiscabitibiens présentent un niveau élevé de détresse psychologique (Gallant, Vachon, Cozic-Fournier, Labrecque et Bukkfalvi-Cadotte, 2019). L’adolescence n’est pas toujours une période facile et encore moins quand les adolescents vivent de la détresse psychologique. Cela les positionne à être davantage à risque de suicide dans une période comportant déjà son lot de changements.
L’adolescence est une période qui demande beaucoup d’adaptation au niveau individuel, familial et social. Ainsi, l’adolescent peut s’attendre à vivre des changements physiques, psychologiques, émotionnels, cognitifs, sociaux, etc. De plus, ce dernier est amené à naviguer entre deux mondes, soit celui de l’enfant qu’il n’est plus vraiment et celui de l’adulte qu’il n’est pas encore. Parfois, les demandes des adultes ne prennent pas en compte ces réalités. L’adolescent peut ainsi ressentir des contradictions envers ce qui est attendu de lui et ce qu’il est capable d’accomplir avec ses ressources personnelles pouvant ainsi mener à une pression de performance dans différents domaines (école, sport, autonomie, indépendance, au niveau social, économique, etc.).
À cet âge, l’adolescent est particulièrement sensible à son environnement. Celui-ci n’a pas nécessairement l’expérience de vie, la compréhension, le jugement et le recul nécessaire pour faire face à certaines situations. La perception d’une situation particulière peut être vécue comme catastrophique pour un jeune alors que pour un adulte, cette même situation serait banale.
Au niveau du suicide et de la mort, l’adolescent ne possède peut-être pas totalement la compréhension de ce que le geste suicidaire représente (fatalité, irréversibilité, destruction de soi, etc.) comme pourrait le comprendre une personne de 75 ans. Vouloir se donner la mort prend un sens symbolique pour l’adolescent, soit arrêter de souffrir, se défaire de soi et des représentations négatives qu’il porte en lui. Il s’agit rarement de se tuer dans le but de mourir, mais davantage pour se débarrasser de quelque chose d’insupportable en lui (Le Breton, 2017).
De plus, l’adolescence est un moment développemental critique au niveau de la santé mentale. Ainsi, selon l’Organisation mondiale de la Santé (2020), près de la moitié des troubles de santé mentale apparaissent avant l’âge de 14 ans. Au Canada, environ 20 % des jeunes de moins de 18 ans présentent un trouble de santé mentale (ISQ, 2018). Encore beaucoup de parents sont dépourvus face à une telle situation et ne savent pas comment aider leurs adolescents. D’autres parents croiront davantage à des réactions ou à des comportements normaux reliés à la crise de l’adolescence. Pourtant, certaines conduites d’adolescents soulignent, parfois maladroitement, un certain mal-être duquel découle « […] un besoin évident, mais difficile d’être entendu. » (Cannard, 2010).
Plusieurs symptômes de troubles mentaux sont ainsi camouflés sous des comportements ou des attitudes dits normaux de la crise de l’adolescence (p.ex. augmentation du sommeil, prise de poids, irritabilité, réactivité, perte d’intérêt dans des activités anciennement appréciées, etc.) (Renaud, 2014). Pourtant, ces symptômes peuvent aussi être reliés à la dépression à l’adolescence. Charach et Andrews (2019) révèlent que 90 % des adolescents s’étant enlevés la vie avaient des symptômes reliés à un trouble mental. Il est alors primordial de ne pas banaliser les émotions, attitudes et comportements des adolescents à une simple crise d’adolescence et, surtout, d’être réellement à leur écoute.
Les adolescents peuvent être réticents et craintifs à demander de l’aide, surtout ceux présentant des idées ou des comportements suicidaires. Ainsi, plusieurs refusent l’aide par difficulté d’exprimer leur vécu, l’inquiétude de parler avec quelqu’un d’inconnu, les délais de consultation, etc. Il y aurait aussi une peur d’avoir une étiquette auprès des pairs en recevant un possible diagnostic de trouble mental (Lachal, Grandclerc et Moro, 2018; Gallant et al. 2019). Cependant, lorsque les problèmes de santé mentale ne sont pas pris en charge par un professionnel, il y a un risque de conséquences à l’âge adulte pouvant limiter le bien-être de la personne à long terme (OMS, 2020).
Voici quelques facteurs de risques et de protection pouvant ainsi faire respectivement augmenter ou diminuer le risque suicidaire chez l’adolescent (Comeau et Gagnon, 2019; Renaud, 2014).
Facteurs prédisposants (Vulnérabilité liée à l’histoire de vie)
- Tentative de suicide antérieure
- Un suicide serait précédé d’environ 20 tentatives de suicide à l’adolescence (Charach et Andrews, 2019)
- Trouble de santé mentale, particulièrement la dépression
- 4 % à 8 % des adolescents souffrent de dépression majeure (Comeau et Gagnon, 2019)
- Impulsivité et hypersensibilité
- Conception de la mort et du suicide
- Antécédents familiaux au niveau d’un trouble de santé mentale
- Suicide d’un proche
- Traumatisme
- Jeune de sexe masculin
- Communauté LGBTQ+
- Davantage confronté à la violence, la stigmatisation, l’exclusion sociale, etc (CCDEJ, 2019)
- Abus de substances (alcool, drogue, etc.)
- Isolement social, rejet des pairs, intimidation, cyberintimidation, etc.
- Décrochage scolaire
- Victime de violence, abus, maltraitance, etc.
- Difficulté de résolution de problèmes
Facteurs contribuants (Amplifient la vulnérabilité et exacerbent le risque suicidaire à un moment précis)
- Rupture ou déception amoureuse
- Période de transition (niveau scolaire, d’école, départ d’une structure encadrante de soin, passage à l’âge adulte, déménagement, etc.)
- Peu d’accès à des ressources d’aide
- Pauvreté
- Conflits persistants et relations instables
- Difficultés ou échecs scolaires
- Problèmes judiciaires
- Deuil et perte
- Maladie physique chronique
- Automutilation
- Un adolescent sur quatre s’automutilerait (Renaud, 2014)
Facteurs précipitants (Circonstances qui précèdent un geste suicidaire, soit la goutte qui fait déborder le vase)
- Accessibilité à des moyens létaux pour s’enlever la vie
- Idées suicidaires chez un proche, particulièrement les parents
- Séparation ou divorce des parents
- Rupture amoureuse
- Médiatisation d’un suicide
- Suicide d’une personne connue
- Échec personnel perçu, humiliation, sentiment d’inaptitude, honte, etc.
- Intimidation et cyberintimidation
Facteurs de protection (Diminuent le risque suicidaire)
- Capacité de résolution de problèmes et d’adaptation
- Tolérance aux frustrations, contrôle interne, résilience, pensées nuancées
- Facilité à reconnaître et exprimer ses émotions
- Projets d’avenir, raisons de vivre, passions, intérêts, etc.
- Accès et connaissance des ressources
- Spiritualité
- Expériences positives (école, travail, relations avec les pairs, bénévolat, etc.)
- Intégration sociale
- Soutien social et familial, relations significatives
- Sentiment d’appartenance et d’utilité
- Parents ou adultes significatifs étant proactifs, à l’écoute et validant les émotions vécues
L’adolescence est une période charnière pour l’acquisition et le développement de nombreuses ressources personnelles pouvant agir comme facteurs de protection lors de situations difficiles. Encore trop de mythes et de préjugés persistent envers la réalité du suicide chez les adolescents. Aborder le sujet du suicide avec un adolescent peut sembler délicat, mais peut aussi débloquer sur de riches discussions et une ouverture face à la demande d’aide. On ne peut aider et encore moins s’aider si on reste isolé avec ses questionnements, ses doutes et ses réflexions, d’où l’importance d’entamer la discussion.
Quelle que soit ta situation, que tu t’inquiètes pour toi-même ou pour quelqu’un d’autre, retiens bien ceci :
NE RESTE PAS SEUL!
Il y a des ressources disponibles pour te venir en aide. À toi de les saisir!
Références
Cannard, C. (2010). Le développement de l’adolescent : l’adolescent à la recherche de son identité. Bruxelles: Groupe de Boeck.
Charach, A. et Andrews, D. (2019, 3 octobre). L’idéation et les comportements suicidaires. Société canadienne de pédiatrie.
https://www.cps.ca/fr/documents/position/ideation-et-les-comportements-suicidaires
Comeau, C., & Gagnon, M. C. (2019, Mai). Adolescence et suicide [communication orale]. Journée régionale : prévention du suicide, Drummondville, QC, Canada.
Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes (CCDEJ). (2019, septembre). Rapport national sur le suicide chez les jeunes. http://www.cccya.ca/Images/french/pdf/rapport_national_sur_le_suicide_chez_les_jeunes.pdf
Gallant, N., Vachon, N., Cozic-Fournier, Y., Labrecque, K. et Bukkfalvi-Cadotte, A. (2019). Portrait du bien-être des jeunes au Québec : région de l’Abitibi-Témiscamingue. Édition 2019. Fondation Jeunes en Tête, Institut National de Recherche Scientifique (INRS) et Observatoire Jeunes et société. https://cdn.fondationjeunesentete.org/wp-content/uploads/2020/06/02144537/abitibi-temiscamingue-definitif-1.pdf
Institut de la statistique du Québec (ISQ). (2018, décembre). Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire 2016-2017. Résultats de la deuxième édition. Tome 2 : l’adaptation sociale et la santé mentale des jeunes.
https://bdso.gouv.qc.ca/docs-ken/multimedia/PB01670FR_EQSJS_2016_2017H00F02.pdf
Lachal, J., Grandclerc, S. et Moro, M. R. (2018, 24 mars). Comment améliorer l’adhésion aux soins des adolescents suicidants après une prise en charge aux urgences : une revue de la littérature. L’Encéphale, 44, 465-470.
https://doi.org/10.1016/j.encep.2018.01.004
Le Breton, D. (2017). Suicide et jeunes générations : se représenter la mort. Frontières, 29(1).
https://id-erudit-org.ezproxy.usherbrooke.ca/iderudit/1042986ar
Levesque, P., Mishara, B. et Perron, P. A. (2021). Le suicide au Québec : 1981 à 2018 – Mise à jour 2021. Institut national de santé publique du Québec. https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/2720_suicide_quebec_2021.pdf
Organisation mondiale de la Santé (OMS). (2021, 17 novembre). Santé mentale des adolescents.
https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/adolescent-mental-health
Organisation mondiale de la Santé (OMS). (2021, 16 juin). Suicide worldwide in 2019: Global Health Estimates.
Renaud, J. (2014, 15 octobre). Regard clinique sur le phénomène du suicide au Québec chez les 5 à 17 ans [communication orale]. Grand forum de la prévention du suicide, Québec, QC, Canada.